Guérir de la psychose et de la perversion narcissique de mon père
First Person Account

Guérir de la psychose et de la perversion narcissique de mon père

First Person Account
Issue
2024/02
DOI:
https://doi.org/10.4414/sanp.2024.1331985688
Swiss Arch Neurol Psychiatr Psychother. 2024;175(02):37

Published on 17.04.2024

Ma maman, une Suissesse, issue de la bourgeoisie, était fille unique. Dynamique, généreuse, solaire, elle occupait un poste de laborantine dans un centre médical. Lorsqu’elle rencontra mon père, originaire d’une petite ville en Espagne, il était charmant et gentil. Il travaillait comme aide-maçon en Suisse romande. Séduite, ma maman avait eu le coup de foudre pour mon père et bien qu’elle fût déjà fiancée avec un autre jeune homme, elle le quitta.
En 1972, ils se marièrent en Suisse romande. Puis mon père suivit la formation de maçon et obtint le CFC. Comme il était très doué dans sa profession, mais aussi ambitieux, ma maman et ses parents l’aidèrent financièrement, ce qui lui permit de monter sa propre entreprise de maçonnerie. Il a aussi appris le métier à des apprentis.
Cependant, depuis ma petite enfance, j’avais peur pour ma maman, car le comportement de mon père était anormal. Incapable de gérer ses frustrations, il était soumis à des sautes d’humeur incontrôlables. En une seconde, il passait du rire aux crises de colère. Il était violent, tant verbalement que physiquement. Il lui demandait l’impossible à réaliser pour créer des disputes quotidiennes. Il la harcelait moralement, il la culpabilisait, il la dévalorisait, il l’humiliait et il s’appropriait ses qualités. Il gérait aussi son argent. Il se vengeait constamment sur elle et je me demandais déjà, lorsque j’étais enfant, pourquoi mon père agissait ainsi, car ma maman était adorable et sa famille aussi. Pour mieux régner, il avait divisé la famille de ma maman afin de l’isoler et la placer sous son emprise. Durant vingt ans de vie commune, notre père n’a jamais aidé notre maman dans les tâches ménagères et nous étions cinq enfants.
A l’extérieur, il était charmant et même serviable, et dans le quartier où nous habitions, nos voisins pensaient tous que ma maman avait beaucoup de chance d’avoir comme époux un homme comme mon père.
Alors qu’il maltraitait sa femme, mon père avait beaucoup de respect et d’admiration pour sa propre mère, restée en Espagne. Il complimentait toujours sa mère. Elle avait beaucoup travaillé, elle était belle. Il était aussi protecteur envers nous, ses enfants, mais il devenait méchant si nous prenions parti pour défendre notre maman.
Pendant 20 ans, mon père a tenu ma maman par des menaces sous son emprise et il a épuisé toutes ses ressources. Elle n’était plus libre de ses mouvements, de ses pensées, ni de ses actes. Elle était tenue, sous le joug de mon père, son bourreau. Il l’a manipulée mentalement, l’a harcelée moralement et l’a détruite progressivement par différentes formes d’abus. Durant toutes ces années, c’est l’absence de remords qui l’a poussé toujours plus loin dans la destruction de ma maman. Il jouissait des souffrances invraisemblables qu’il lui infligeait.
Après le divorce de mes parents dans les années 90, mon père s’est remarié plusieurs fois. Il a 13 enfants: 8 filles et 5 fils, nés de cinq unions différentes. Je suis issue du premier mariage de mon père, la deuxième de la fratrie et l’aînée des filles.
Ma maman avait subi toutes sortes de violences: psychiques, émotionnelles, physiques et matérielles avant de s’autodétruire avec une consommation excessive d’alcool. Vidée de son énergie, elle n’avait plus d’identité. Pendant plus de 10 ans, elle sombra dans l’alcoolisme, la maladie de l’âme. Durant cette période, elle mit souvent sa vie en danger, elle risqua de mourir tant de fois. Elle connut aussi parfois les comas éthyliques.
A l’époque, elle a séjourné régulièrement à l’hôpital psychiatrique pour des sevrages. Puis, elle a suivi une cure de désintoxication de six mois consécutifs dans une institution. Finalement, elle a cessé définitivement de consommer de l’alcool.
Quelques années plus tard, ma maman avait développé un cancer du sein. Malgré la double mastectomie et la chimiothérapie, elle est décédée en décembre 2008, à 59 ans.
Après le décès de ma maman, j’en ai voulu à mon père. Ma maman était sa cible et il avait brisé sa vie. J’avais besoin de comprendre pourquoi il avait agi ainsi. J’avais aussi très peur de devenir sa seconde victime. C’est la psychose: «la psychose paternelle», comme je la nommais. Je craignais que mon père me tue. Impossible de rester chez moi, j’angoissais d’être seule.
En février 2014, c’est l’hospitalisation dans une clinique psychiatrique. Comme j’avais fait une décompensation psychotique le soir même, une infirmière m’a donné de l’Haldol à boire sous forme de sirop. J’ai pris ce médicament pendant deux mois et demi. J’avais l’estomac noué, j’avais 38 ans et je pesais seulement 42 kg. Durant ce séjour, j’ai pu bénéficier des conseils d’une diététicienne et, chaque jour, de packs appelés aussi packing.
J’ai fait encore six autres séjours dans un autre hôpital psychiatrique. Les psychiatres avaient réussi à faire disparaître mes symptômes avec les médicaments: des antipsychotiques, des anxiolytiques, des antidépresseurs et même parfois du valium. Mes séjours dans les hôpitaux psychiatriques ont duré de manière discontinue jusqu’en novembre 2017. En jours, cela correspond à plus d’une année continue vécue en hôpital psychiatrique. Durant ces séjours, en tant que «réfugiée paternelle», j’ai eu le temps de me reposer. J’ai lu divers livres, j’ai écrit des résumés. J’ai écouté de la musique, j’ai beaucoup dessiné et colorié un livre entier de mandalas en ergothérapie. J’ai peint un foulard avec de la peinture pour soie, que je porte encore.
Depuis le début de l’année 2014, j’ai aussi des rendez-vous médicaux réguliers avec des psychiatres à la policlinique psychiatrique ou en cabinets privés. Cela fait maintenant plus de 10 ans que je suis soignée avec des antipsychotiques. J’espère pouvoir arrêter la médication ces prochains mois.
En lisant le livre de Paul-Claude Racamier [1], j’ai compris que, par malheur, mon père était un pervers narcissique, atteint d’un trouble de la personnalité grave et incurable. J’ai pardonné sa psychopathologie parce qu’il vit dans le déni de ses souffrances psychiques internes précoces et de la réalité. Lorsque mon père avait 11 ans, son petit frère de 6 ans est mort sous ses yeux en Espagne. Leur mère avait déclaré qu’elle n’avait pas d’argent pour le faire soigner à l’hôpital. La famille vivait dans la misère. La violence de cet évènement l’a rendu insensible aux autres. Il ne se rend pas compte du mal qu’il a fait endurer à ma maman, ni de mes souffrances. Je ne cherche donc pas à ce que mon père me comprenne, car les sentiments, il ne comprend pas. Il ne ressent pas les émotions et il n’y voit aucun intérêt.
Ma maman a tenté à corps perdu de l’aider. Elle y a laissé toute son énergie et sa vie. Il a vampirisé ma maman afin d’exister à ses dépens. Ma maman en est morte, je lui dédie mon témoignage. Mon père est apaisé. Je sais désormais qu’il ne me fera jamais de mal, car le but de son existence, c’est ses enfants.
1 Paul-Claude Racamier, Les perversions narcissiques, Payot, 2012.