Soutien individuel à l'emploi (IPS) voudois
Une étude rétrospective naturaliste

Soutien individuel à l'emploi (IPS) voudois

Original Article
Issue
2016/07
DOI:
https://doi.org/10.4414/sanp.2016.00434
Swiss Arch Neurol Psychiatr Psychother. 2016;167(07):215-221

Affiliations
Service de psychiatrie communautaire, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV), Lausanne, Switzerland

Published on 02.11.2016

Introduction

Troubles psychiques et insertion ­professionnelle

L’insertion des personnes souffrant de troubles psychiques dans le marché de l’emploi compétitif est une préoccupation de santé publique, tant en raison des coûts générés par l’absence d’insertion [1], que pour ­favoriser le rétablissement de ces personnes [2]. Le nom­bre de personnes avec des troubles psychiques qui évoluent en dehors du marché du travail augmente continuellement, bien que la plupart de ces ­personnes désirent travailler [3, 4]. Bien souvent, les troubles psychiques se révèlent invalidants et ont des conséquences négatives sur le parcours professionnel (interruption des études, changements fréquents, ­périodes d’inactivité, etc.) [1]. En Europe et aux Etats-Unis, le taux d’occupation des personnes qui souffrent de schizophrénie se situe entre 10 et 25% [5–7]. Ceci sans compter la stigmatisation des maladies psychiques [8, 9] dans la société et dans le processus de ­recrutement [9, 10].
Pourtant, l’activité professionnelle participe au rétablissement des personnes, de par la structure, les inter­actions sociales et son effet sur l’estime de soi [11, 12]. Diverses études démontrent aussi que l’emploi permet de réduire les symptômes des maladies psychiques et participe à l’augmentation de l’estime personnelle [13, 14]. A l’inverse, il a été observé que l’absence d’activité professionnelle expose davantage la personne à la dépression et aux risques de suicide [15].

Le soutien à l’emploi de type IPS

Le soutien à l’emploi de type Individual Placement and Support (IPS) se montre le plus efficace pour réinsérer les personnes souffrant de troubles psychiques dans des emplois compétitifs [16, 17]. Son concept central est la formule «place then train» qui part du principe que les étapes d’entrainement avant le retour en l’emploi compétitif ne sont pas nécessaires et que les compétences demandées pour un poste visé peuvent se développer en immersion directe dans le milieu du travail. Il s’oppose au modèle «train then place» habituellement utilisé en réhabilitation psychosociale, dans ­lequel un entrainement en milieu protégé est un ­préalable à l’emploi.
Le modèle IPS est basé sur huit principes: l’exclusion zéro (toute personne motivée à avoir un emploi compétitif et souffrant de troubles psychiques peut ­intégrer le programme IPS: la stabilité de l’état de santé ne doit pas constituer un frein), la collaboration entre le programme de soutien à l’emploi et le traitement psychiatrique, l’objectif est l’emploi compétitif, les ­recherches d’emploi sont rapides (dès l’admission dans le programme) et ciblent les emplois désirés par les clients, un processus de prise de décision partagée (la recherche et le maintien en emploi est un travail d’équipe et les responsabilités du processus sont partagées entre l’agent en insertion et le client), le suivi est prolongé aussi longtemps que la personne en exprime le besoin, et le développement systématique et continu par l’agent en insertion de liens avec des employeurs potentiels [18]. Un des paramètres de réussite de ce type de suivi réside d’ailleurs dans le fait d’appliquer de manière rigoureuse ces principes [19]. Un autre ­paramètre influençant le taux d’insertion profes­sionnelle des suivis IPS est le taux de chômage local [20]. Le taux de chômage dans le canton de Vaud fluctuait entre 4,4% et 5,7% entre 2012 et 2014, supérieure à la moyenne suisse sur cette même période (entre 2,7 et 3,5%) [21].

Le soutien à l’emploi dans le canton de Vaud: RESSORT

RESSORT (RESeau de Soutien et d’ORientation vers le Travail) du CHUV (Centre Hospitalier Universitaire Vaudois) vise à offrir des solutions différenciées pour les personnes souffrant de troubles psychiques et souhaitant intégrer le marché compétitif de l’emploi à l’aide de deux missions, la réinsertion professionnelle progressive classique (PRO) restant à la charge d’autres acteurs dans le système depuis 2014 (tableau 1). Premièrement, le soutien à l’emploi de type IPS permet à des personnes traitées pour des troubles psychiques ­d’accéder à un emploi compétitif. Deuxièmement, une mission d’engagement dans des soins vise les personnes dont le projet professionnel est entravé par des difficultés psychologiques, mais qui n’accèdent pas aux soins psychiatriques habituels [22].
Tableau 1: Configuration des filières du dispositif RESSORT.
 Soutien à l’emploi de type IPS
(Individual Placement and Support) Détection et engagement dans les soins Réinsertion professionnelle progressive*
Objectif Soutenir la recherche et le maintien d’un ­emploi dans la 1ère économie pour les personnes souffrant de troubles psychiques.
Adapter le soutien à la formation profes­sionnelle.
Evaluer les troubles psychiques et les ­besoins de personnes présentant des problèmes d’insertion et refusant les prises en charges psychiatriques standards.
Orientation dans le réseau de santé mentale si nécessaire.
Soutenir le projet professionnel et la réinsertion ou la formation de personnes souffrant de troubles psychiques qui souhaitent ­tra­vailler mais ne sont pas prêtes pour le 1er marché.
Moyens IPS, modèle «place then train».
Placements dans l’économie ou mesures proches de l’économie par l’AI.Modèle de case management clinique et d’intervention de crise, engagement pro­actif, mobilité. Modèle «train then place» et de case management clinique.
Mesures de réinsertion progressives de l’AI.
Partenariats 
principaux Employeurs, institutions de formation, ­réseau de santé mentale, AI.Référents sociaux, réseau de santé mentale, médecine générale. AI, ateliers protégés, réseau de santé ­mentale.
* A partir de 2014, la filière progressive (ici en gris) a été transmise à l’Unité de Réhabilitation.
Le but de cette étude est d’examiner:
– Le profil de la population bénéficiant de ce type de soutien à l’emploi (IPS) au sein de RESSORT
– Le taux de réussite en termes d’insertion professionnelle pour cette population
– S’il existe des variables prédictives de l’accès à ­l’emploi

Methode

Cet article présente les résultats d’une étude rétrospective naturaliste, menée sur l’ensemble des personnes ayant accédé à la filière IPS du programme RESSORT entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2014.
Les données ont été récoltées de manière prospective, dans le cadre de l’activité clinique par les intervenants RESSORT. Elles ont ensuite été extraites de manière anonyme, afin de les analyser. La Commission cantonale d’éthique a estimé que cette étude n’entrait pas dans le champ d’application de la Loi relative à la ­recherche sur l’être humain.

Intervention

Toute personne suivie par un psychiatre pour des troubles psychiques et qui présente l’envie de s’insérer professionnellement dans l’économie libre peut ­accéder au soutien à l’emploi RESSORT. L’intervention suit les principes du modèle IPS décrits plus haut, avec une évaluation régulière de la fidélité au ­modèle original.
Une vignette clinique illustre les démarches proposées par les agents en insertion IPS aux patients pour les aider dans leur réinsertion professionnelle:
Vignette clinique de soutien individuel à l’emploi
Benoît (nom d’emprunt), 26 ans, entend des voix menaçantes, qu’il attribue à des djinns invisibles. Une hospitalisation récente en milieu psychiatrique a permis de poser un diagnostic de ­schizophrénie paranoïde, et de mettre en place un traitement ­antipsychotique que Benoît prend la plupart du temps. Titulaire d’un ­Certificat Fédéral de Capacité d’agent documentaire, Benoît souhaite retrouver un emploi à temps partiel dans ce ­domaine. Son psychiatre le soutient dans une démarche auprès de RESSORT.
Après une analyse de sa situation (parcours scolaire et professionnel, le type d’emploi souhaité, les sources de stress et les freins au retour à l’emploi potentiels, etc.), l’agent IPS définit ­rapidement avec Benoît un plan d’action vers l’emploi. Le type d’emploi recherché est discuté, ainsi que la stratégie de recher­che d’emploi et l’aide dont a besoin Benoît.
Dans un premier temps, Benoît souhaite se rendre seul aux ­rendez-vous avec les employeurs potentiels. Néanmoins, les deux premiers entretiens ­n’aboutissent pas à une embauche ou une journée d’essai. En effet, les employeurs sont rebutés par la méfiance de Benoît vis-à-vis du téléphone, auquel il attribue un pouvoir néfaste.
A la lumière de ces expériences, le plan d’action vers l’emploi est réévalué. Benoît accepte alors une aide directe de l’agent IPS sur le terrain, ainsi que d’évoquer aux employeurs ses limitations fonctionnelles (sa méfiance, notamment quant à l’usage du téléphone), tout en soulignant ses ressources ­(rigueur dans la tâche, fiabilité).
Après quelques entretiens infructueux, Benoît trouve un stage d’une semaine en tant qu’agent documentaire. Durant les premiers jours de ce nouvel ­emploi, il fait quotidiennement le point avec son agent IPS. Les relations avec ses collègues sont en effet difficiles à gérer, notamment durant les pauses. Dans le cadre d’un jeu de rôle, son agent IPS l’entraîne à répondre de manière sereine à certaines questions, à en éluder d’autres. En outre, sur la suggestion de l’agent IPS, son employeur l’autorise à écouter de la musique aux écouteurs, ce qui atténue les hallucinations auditives et l’aide à mieux se concentrer. A l’issue du stage, ­Benoît est engagé à 40% dans le poste. L’agent IPS poursuit le soutien en emploi le temps nécessaire, puis reste à dispo­sition au gré des besoins ultérieurs.
Le profil de la population accédant au dispositif est ­décrit par les caractéristiques sociodémographiques (sexe, âge et niveau scolaire), socioprofessionnelles (statut social, activité au cours de l’année précédente, type d’activité au début de l’intervention et source de revenu) et cliniques (diagnostic et état du suivi psychiatrique) récoltées au moment de la demande de suivi. Au niveau clinique, seul la catégorie diagnostique principale selon les critères du CIM-10 a été retenue, car seule disponible.
Pour évaluer le taux de réussite du programme, la ­présence d’une activité dans la 1ère économie (emploi ou formation compétitive) a été évaluée au début et à la fin du suivi.  

Analyses

Les caractéristiques sociodémographiques, socioprofessionnelles et cliniques de la population globale IPS (n = 72) ont été analysées au niveau descriptif. La ­normalité des variables continues a été testée (test de Kolmogorov-Smirnov).
Le test du Chi-carré et le calcul de l’odds ratio (OR) ont été utilisés sur les dossiers fermés au 31 décembre 2014 de la filière IPS (n = 43) pour tester les performances du dispositif en termes d’insertion professionnelle et les comparer avec les résultats à la sortie du programme de la population bénéficiant d’un suivi traditionnel d’insertion progressive en emploi (PRO) (n = 55). Ce suivi était assuré par une autre filière du programme RESSORT jusqu’à fin 2014. Pour cette analyse, seuls les dossiers fermés des personnes qui au début de l’intervention n’avaient pas d’activité ont été pris en considération dans les deux filières.
Le test du Chi-carré, le test de Fisher et le calcul de l’odds ratio (OR) pour les variables catégorielles nominales et le test non-paramétrique de Mann-Whitney pour les variables ordinales et continues non normales ont été utilisés pour tester l’existence d’éventuelles ­variables prédictives de l’accès à une activité. Seuls les dossiers fermés ont été pris en considération dans ces analyses (n = 43).
Enfin, pour évaluer l’impact de RESSORT en termes de réinsertion professionnelle dans chaque axe diagnostique, le test du Chi-carré, le test de Fisher et le calcul de l’OR ont été utilisés pour chaque axe du DSM V (l’Axe 1 incluant les troubles majeurs cliniques et l’Axe 2 incluant les troubles de la personnalité et le ­retard mental).
Toutes les analyses ont été faites par IBM SPSS Version 23.

Resultats

Profil de la population IPS

Au total, 72 personnes ont débuté un suivi IPS auprès de RESSORT entre 2012 et 2014, dont 43 (60%) sont ­sorties du programme avant le 31 décembre 2014.
Le tableau 2 décrit les caractéristiques sociodémographiques, socioprofessionnelles et cliniques de la population IPS, qui se compose principalement de jeunes hommes ayant un niveau scolaire ne dépassant souvent pas la scolarité obligatoire. Souvent inactifs au cours de l’année écoulée, plus d’un tiers d’entre-eux sont suivis par le Service de prévoyance et de l’aide ­sociale (SPAS), qui constitue aussi leur unique source de revenu. 20,8% des personnes ont une activité dans la 1ère économie (emploi ou formation) au début du suivi et plus du double rapporte une activité dans la 1ère économie (formation ou emploi) durant l’année précédente.
Tableau 2: Caractéristiques sociodémographiques, socioprofessionnelles et cliniques 
de la population IPS (Individual Placement and Support) à l’admission (n = 72).
 % (N)
Age moyen (écart type)31,3 (9,78)
Sexe 
Homme61% (44)
Niveau scolaire 
Université, haute école12,5% (9)
Maturité, école supérieure 7% (5)
École professionnelle 1,4% (1)
Apprentissage, maîtrise fédérale20,8% (15)
Scolarité obligatoire55,5% (40)
Aucune scolarité menée à terme 2,8% (2)
Statut social 
Contrat de travail12,5% (9)
RI/SPAS (Service de Prévoyance et d’Aide Sociale)44,4% (29)
AI14% (10)
Chômage 8,3% (6)
Perte de gains 4,1% (3)
Sans statut16,7% (12)
En activité au cours de l’année précédente144,3% (31)
Activité au début de l’intervention 
Sans activité58,3% (42)
Activité protégée (y.c. formation) 7% (5)
Activité dans la 1ère économie (y.c. formation)20,8% (15)
Chômage/en arrêt maladie13,9% (10)
Source de revenu  
Travail salarié11,1% (8)
SPAS39% (28)
AI12,5% (9)
Chômage 8,3% (6)
Perte de gains4,1% (3)
Bourse d’étude 2,7% (2)
Fortune personnelle15,3% (11)
Mixte 7% (5)
Diagnostic principal (CIM-10)2 
Tr. de l’humeur30% (20)
Tr. anxieux et liés au stress24% (16)
Tr. psychotiques18% (12)
Tr. de la personnalité18% (12)
Autre10% (7)
Suivi psychiatrique en cours83,3% (60)
Durée moyenne du suivi IPS (écart type)12,06 (9,05)
1 1 donnée manquante
2 Dans 4 cas (5,6%) le diagnostic principal n’est pas exploitable, l’évaluation clinique étant en cours; 1 donnée manquante
Au niveau diagnostic, demeure une prépondérance de troubles de l’humeur et de troubles anxieux et liés au stress.

Impact de RESSORT sur l’insertion professionnelle

Le taux de réussite de la filière IPS en termes d’insertion professionnelle est présenté dans le tableau 3. Au ­début de l’intervention RESSORT, moins d’un quart (20,9%) des personnes ont une activité dans le marché compétitif, alors qu’à la fin du suivi, leur proportion s’élève à 41,8%. Le test du Chi-carré montre que cette augmentation est statistiquement significative, avec 2,72 fois plus de chances d’avoir une activité en milieu compétitif après le programme par rapport au début. Plus en détails, parmi les 9 personnes qui avaient déjà une activité dans la 1ère économie au début du suivi IPS, 7 (77,8%) maintiennent une activité à la fin et seulement 2 personnes (22,2%) terminent le programme sans une activité. Par contre, des 34 personnes sans ­activité compétitive à l’admission, 11 (32,4%) ont débuté un emploi ou une formation dans la 1ère économie à la sortie du programme et 23 (67,6%) sont encore sans ­activité.
Tableau 3: Impact de RESSORT sur l’insertion professionnelle: comparaison longitudinale des proportions de personnes 
en activité dans la 1ère économie à l’admission et au terme de l’intervention (n = 43).
Indicateur vocationnelPréPostχ2dlpOR
N%N%
En activité dans la 1ère économie 920,9%1841,8%4,37310,0372,72
Sans activité dans la 1ère économie3479,1%2558,2%
dl, dégrée de liberté; OR, odds ratio
L’impact positif de RESSORT en termes de réinsertion professionnelle dans le marché compétitif est ultérieurement confirmé par les résultats obtenus en comparant les proportions des personnes qui, alors qu’elles n’avaient pas d’activité dans la 1ère économie au début du programme, en rapportent une lors de la fin du suivi RESSORT du type IPS ou progressif (PRO). Le test du Chi-carré montre une différence statistiquement ­significative entre les deux filières: les personnes accédant à la filière IPS sans une activité préalable (n = 34) ont 6,11 plus de chances d’obtenir un emploi ou une ­formation dans la 1ère économie une fois terminé le programme par rapport à la même sous-population de la filière PRO (n = 55) (tableau 4). Les profils socio­démographiques, cliniques et socioprofessionnels de ces deux sous-populations ont été comparés et aucune ­différence significative n’a été détectée (tableau 5).
Tableau 4: Impact de RESSORT sur l’insertion professionnelle: comparaison des proportions de personnes sans activité au début du suivi et en activité au terme de l’intervention dans la filière IPS (n = 34) et dans la filière PRO (n = 55).
Indicateur vocationnelPréPostχ2dlpOR
N%N%
En activité dans la 1ère économie1132,4% 4 7,3% 9,41 0,006,1
Sans activité dans la 1ère économie2367,6%5192,7%3121
dl, dégrée de liberté; OR, odds ratio
Tableau 5: Caractéristiques sociodémographiques, socioprofessionnelles et cliniques 
de la sous-population IPS (n = 34) et PRO (n = 55) sans activité dans la 1ère économie à l’admission et avec un dossier fermé au 31 décembre 2014.
 IPSPROp
% (N)% (N)
Age moyen (écart type)29,8 (9,22)33,8 (10.29)0,0521
Sexe   
Homme56% (19)56,4% (31)0,9652
Niveau scolaire    
Université, haute école 8,8% (3) 9,1% (5)0,0983
Maturité, école supérieure 5,9% (2)10,9% (6)
École professionnelle 0 0
Apprentissage, maîtrise fédérale14,7% (5)36,4% (20)
Scolarité obligatoire64,7% (22)41,8% (23)
Aucune scolarité menée à terme 5,9% (2) 1,8% (1)
Statut social   
Contrat de travail 3% (1) 00,5323
RI/SPAS (Service de Prévoyance et d’Aide Sociale)47% (16)54,5% (30)
AI23,5% (8)29% (16)
Chômage/ perte de gains14,7% (5) 9,1% (5)
Sans statut11,8% (4) 7,3% (4)
En activité au cours de l’année précédente130,3% (10)21,8% (12)0,3742
Source de revenu    
Travail salarié 2,9% (1) 00,2333
SPAS47,1% (16)54,5% (30)
AI20,6% (7)29,1% (16)
Autre29,4% (10)16,4% (9)
Diagnostic principal (CIM-10)   
Tr. de l’humeur26,5% (9)39% (21)0,418
Tr. anxieux et liés au stress20,5% (7)11% (6)
Tr. psychotiques29,4% (10)26% (14)
Tr. de la personnalité11,8% (4)18,5% (10)
Autre11,8% (4) 5,5% (3)
Suivi psychiatrique en cours82,4% (28)89,1% (49)0,5243
Durée moyenne du suivi IPS (écart type) 9,38 (5.45) 7,93 (6,21)0,1171
1 Test de Mann-Whitney, 2 Test du Chi-carré, 3 Test de Fischer

Les variables prédictives de réussite en termes d’insertion professionnelle

Aucune des éventuelles variables prédictives de ­réussite en termes d’accès à une activité dans la 1ère économie qui ont été testées n’a obtenu de résultat statistiquement significatif: que ce fût les variables socio­démographiques, socioprofessionnelles et cliniques qui caractérisent la population IPS, ou la durée du suivi. Cette durée était pourtant très variable (<1 mois à 27 mois).
Le tableau 6 présente les résultats des tests effectués en fonction des axes diagnostiques sur les proportions des personnes en activité dans la 1ère économie au ­début et à la fin de l’intervention. Ces résultats mon­trent que les personnes atteintes d’un trouble de l’axe 1 au sein de la filière IPS ont 3,6 plus de chances d’avoir une activité compétitive à la sortie du programme par rapport à l’admission, cette augmentation étant sta­tistiquement significative. L’impact du programme RESSORT sur l’insertion dans la 1ère économie des ­personnes dont le diagnostic principal est un trouble de l’axe 2 selon le DSM V, est par contre plus faible, le test du Chi-carré n’étant dans ce cas pas significatif .
Tableau 6: Impact de RESSORT sur l’insertion professionnelle dans chaque axe diagnostique (selon DSM-V): comparaison longitudinale des proportions de personnes en activité dans la 1ère économie à l’admission et au terme de l’intervention 
(n = 43)
Diagnostique1PréPostχ2dlpOR
N%N%
Axe 1 (n = 34)514,7%1338,2%4,83610,0283,6
Axe 2 (n = 8)337,5% 450%11,00i1,66
dl, dégrée de liberté; OR, odds ratio
iTest de Fisher
1 Donnée manquante

Discussion

Filière IPS de RESSORT: efficacité et mise 
en perspective

Les analyses ont montré que le programme RESSORT est efficace en termes de réinsertion professionnelle en milieu compétitif: le taux de personnes ayant une activité dans le marché compétitif passe de 20,9% (à l’entrée du programme) à 41,8% (à la sortie). Elles ont aussi démontré que les personnes de la filière IPS du programme RESSORT ont 6,11 fois plus de chances d’avoir obtenu un emploi ou une formation en milieu compétitif à la fin de leur suivi RESSORT, que les personnes de la filière progressive (32,4% des personnes de la filière IPS vs 7.3% des personnes de la filière ­progressive). Cette comparaison doit néanmoins être interprétée avec prudence, ces deux programmes ciblant probablement des personnes à des stades différents de rétablissement malgré la similitude apparente des populations. L’existence de différentes sous-populations aux besoins distincts en termes de réinsertion professionnelle chez de personnes atteintes dans leur santé mentale a été soulignée [23].
L’étude paneuropéenne EQOLIZE rapportait un taux d’insertion de 54,5% pour les patients IPS, comparée à 27,6% pour le groupe contrôle [24]. D’autres études ­européennes ont ensuite rapporté des taux d’insertion entre 44 et 46% (comparé à 11–25% pour la population contrôle), ce qui correspond aux valeurs moyennes (47%) pour le taux d’insertion par IPS en dehors des Etats-Unis des RCT sur le sujet compilées en 2012 [17]. De plus, la durée minimale de l’emploi compétitif ­nécessaire pour être considéré peut varier selon les études: il est de un jour au minimum dans la plupart des études américaines, dans EQOLIZE et dans l’étude de Hollande [25], mais passe à minimum une semaine dans l’étude en Suède [26]. Notons par ailleurs également que les taux d’insertion des programmes IPS ­implantés de routine sont légèrement plus bas dans les études naturalistes que lors des essais cliniques randomisés. Enfin, l’augmentation des tensions du marché de l’emploi en Europe après les études précitées peut aussi jouer un rôle dans la diminution du taux d’accès en l’emploi dans notre étude.
Des études sur IPS ont également été effectuées en Suisse, toutes en partenariat avec l’Assurance Invalidité. Une étude zurichoise proposant un soutien à ­l’emploi IPS aux nouveaux rentiers AI pour raisons psychiques (depuis moins d’un an) a rapporté que 22% des personnes sans emploi au début de l’étude avaient retrouvé un emploi compétitif durant les 2 ans de suivi, contre 11% des participants du groupe contrôle [27]. Elle prenait en compte un résultat cumulatif des emplois obtenus et la durée minimale de l’emploi compétitif nécessaire pour être pris en considération était de un mois, soit bien supérieur aux durées évoquées dans d’autres études.
Une étude bernoise a évalué durant 5 ans les effets du soutien à l’emploi de type IPS proposé à des rentiers AI pour des raisons psychiques [28]: elle a rapporté que 65,2% des personnes bénéficiant du suivi IPS avaient obtenu un emploi compétitif, contre 33,3% dans le groupe contrôle. Les auteurs avaient retenu deux ­semaines comme durée minimale de l’emploi compétitif nécessaire pour être pris en considération. Certains biais de sélection peuvent expliquer leur taux de réinsertion particulièrement élevé: les personnes devaient démontrer une capacité de travail d’au moins 50% (évaluation de deux semaines préalablement à l’étude), et ne devaient pas présenter de trouble addictologique primaire durant l’année écoulée.
A la différence des autres études suisses, seuls 12,5% des participants à cette étude rapportent un revenu issu de l’Assurance Invalidité, alors que la majorité est au chômage, à l’Aide Sociale ou vivent de leur fortune ­personnelle. Comme les troubles psychiques dans la population se manifestent par de fréquents épisodes de chômage, ou un tableau clinique peu clair [1], il est ainsi possible qu’une proportion importante d’entre eux pourrait bénéficier d’un programme d’insertion en emploi de type IPS en amont d’une demande à ­l’assurance invalidité.
En comparaison avec l’étude effectuée sur les données RESSORT de 2009 à 2011 [29], les résultats en termes d’insertion professionnelle en milieu compétitif du programme se sont amélioré, passant de 18 % à 20,9%. Ce fait est probablement le fruit d’une population plus homogène, visant une insertion directement en milieu compétitif et d’une amélioration de la fidélité au modèle IPS [30].
Aucun facteur prédictif d’accès à l’emploi n’a pu être mis en évidence dans les données recueillies. Dans la littérature, les facteurs prépondérants semblent être la motivation et de l’attitude active de la personne face aux recherches d’emploi [26, 31, 32], qui n’ont pas pu être mesurés dans la présente étude.

Influence du profil clinique sur l’efficacité en termes d’insertion en emploi

La population de cette étude est également différente au niveau clinique. Dans une tendance semblable aux autres études suisses, les participants souffrant de troubles anxieux, de trouble de l’humeur ou de troubles de la personnalité sont plus nombreux que les personnes souffrant de schizophrénie (18%), alors qu’ils constituent la majorité dans les grandes études européennes sur IPS (55–79% [16, 25]). IPS a en effet été développé à l’origine pour les troubles psychiatriques sévères comme la schizophrénie. Néanmoins, les besoins de soutien pour l’insertion en emploi de personnes souffrant d’autres troubles psychiatriques plus fréquents ont récemment fortement augmenté dans les pays européens industrialisés, et notamment en Suisse, avec une proportion de 40% des nouvelles ­demandes à l’assurance invalidité [1, 33]. La population clinique de RESSORT semble refléter cette évolution, puisque le dispositif a été créé dans une perspective de santé publique cantonale.
Paradoxalement, il est possible que les personnes souffrant de troubles psychiatriques sévères bénéficient plus facilement d’un soutien à l’emploi de type IPS. Le programme a été créé spécifiquement pour cette ­catégorie de personnes, qui doivent être aidées pour surmonter des barrières liées à l’auto stigmatisation et à la marginalisation, mais sont par contre souvent prêtes à occuper des emplois peu qualifiés et faiblement rémunérés afin de récupérer un rôle social actif.
Les participants ayant un trouble de la personnalité ou un trouble anxieux comme diagnostic principal ont probablement d’autres profils d’insertion, d’autres limitations fonctionnelles et d’autres exigences face au travail rémunéré. Les résultats de ces analyses confirment que l’impact du programme sur l’insertion dans la première économie est moins important chez les personnes souffrant d’un trouble de la personnalité. La question d’élargir le suivi IPS à des populations présentant des troubles psychiatriques moins sévères ou des troubles de la personnalité a d’ailleurs été soulevée [34] et est en cours d’exploration [35, 36].

Limitations

Les limitations de cette étude sont principalement liées à son caractère naturaliste, notamment l’absence de groupe contrôle, l’utilisation de données récoltées par les cliniciens, la petite taille de l’ échantillon et le fait de n’avoir pas intégré les diagnostics secondaires et co-morbidités psychiatriques dans les analyses.
Le profil clinique et social différent des participants à cette étude limitent également la comparaison des ­résultats avec les autres études suisses et internationales sur le sujet.

Perspectives

Les méthodes de soutien à l’emploi de type IPS ont fait leur preuve pour favoriser l’accès à l’emploi de ­personnes souffrant de troubles psychiatriques sévères tels qu’une schizophrénie. Les besoins d’aide à l’in­sertion en emploi pour les personnes souffrant de troubles psychiques plus fréquents se sont accrus de manière importante durant les dix dernières années. Il paraît ainsi important d’étudier comment le soutien à l’emploi de type IPS peut évoluer pour répondre à ces besoins dans une perspective de santé publique. Notamment, l’impact des troubles de la personnalité sur le taux d’insertion professionnelle obtenu avec le soutien à l’emploi de type IPS devrait être exploré de manière plus approfondie.

Conclusions

Le suivi de soutien à l’emploi de type IPS que RESSORT utilise permet de réinsérer en milieu compétitif des personnes pré­sentant des troubles psychiques variés de manière efficace en situation naturelle, avec un taux d’insertion comparable aux autres programmes du même type. Aucun facteur prédictif d’accès à l’emploi n’a pu être mis en évidence. Des études restent nécessaires pour adapter ce suivi afin de mieux répondre aux besoins accrus pour l’insertion en emploi de personnes souffrant de troubles psychiques fréquents tels que les troubles anxieux ou les troubles de la personnalité.
No financial support and no other potential conflict of interest ­relevant to this article was reported.
Christine Sarah Besse, M.D.
Centre Hospitalier
Universitaire Vaudois (CHUV)
Place Chauderon 18
CH-1003 Lausanne
Christine.Besse[at]chuv.ch
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