Polyphonie – fragments
First Person Account

Polyphonie – fragments

First Person Account
Issue
2024/08
DOI:
https://doi.org/10.4414/sanp.2024.1546987514
Swiss Arch Neurol Psychiatr Psychother. 2024;175:1546987514

Affiliations
1 Pseudonyme, nom connu de la rédaction

Published on 19.08.2024

1.

Ce matin vers huit heures, je suis arrivé devant notre maison. Par l’autre côté. Cela faisait longtemps que je ne l’avais pas vue. Et je me suis laissé surprendre. Le quartier est agréable. On sort de l’hiver, les végétaux reprennent le dessus.

(Hier)

Et certaines nuits, je criais. J’épuisais ma volonté. C’est arrivé plusieurs fois. J’ai tapé les murs aussi. Je ne suis pas le seul à faire ça. Je me sens fatigué.

(Hier)

Le premier jour, j’ai eu trop peur pour sortir de chez moi. J’ai su qu’il allait être difficile de faire machine arrière. Mes rêves, l’endroit où je projette mes espoirs, l’insouciance, ils ont commencé à se détraquer. Tout ne se passe pas comme prévu, il me semble. J’avais imaginé les choses différemment.

(Hier encore)

Je constate avec un peu d’amertume que je ne sais pas vivre simplement. Je veux dire par là que la vie pourrait être simple comme elle l’est pour d’autres. J’ai du temps pour moi, c’est un luxe.
Il a été question de jalousie à la radio. J’aime beaucoup la radio.

(Hier)

Il a été dit que la capacité à aimer et à décider faisait de nous des êtres humains.

2.

Quand je suis seul chez moi, quand je suis seul chez moi
Je garde le silence
Quand je suis seul chez moi, je garde le silence
Qui a dit qu’on pouvait oublier, qu’on s’habituait à tout
Qu’on pouvait oublier
Quand je suis seul chez moi
Il faut croire que j’aime ça, avoir peur dans les yeux d’un autre
Vouloir échapper au monde
Je garde le silence
Je n’ai pas honte, je n’ai pas honte, je n’ai pas honte

3.

C’est une femme. Elle a les cheveux frisés, noirs. Ce n’est pas la première chose que j’ai vue en la regardant. D’ailleurs, je ne l’ai pas regardée tout de suite. Avant ça, j’ai attendu patiemment qu’elle ferme les yeux.
Je ne sais plus si c’est elle ou si c’est moi qui ai porté le regard le premier sur l’autre. Je ne sais plus son visage. Je ne sais pas ses habits. Ses habits ne sont pas comme d’habitude. Bien sûr, il y a aussi tout ce que je ne vois pas. Ce qu’il faut deviner. Elle ferme les yeux, c’est certain.
Je ne sais pas ce qui se passe pour elle à ce moment-là, elle a décidé de se taire, elle ne me dira rien. Elle sait que c’est juste. J’ai déjà ressenti ça une fois. Le silence, le calme, la patience. Je sais que c’est là, quelque part.

4.

(J’ai parfois peur d’affronter la personne que j’ai été)

5.

Quand la maison sera vide et que de toutes mes forces je serai devenu vieux, les choses seront-elles moins lourdes à porter? Un jour, je n’aurai plus de reproches à faire à personne. Plus de colère, pas d’injustices.
Aujourd’hui, sous le rosier, tout est calme.
Je suis l’une de ces voix
Peut-être pas celle qu’on entend le mieux
Parmi celles qui doutent
Celles qui éclatent
Ni même la plus discrète
Celles qui ont peur
Celles qui pleurent
Celles-là chuchotent
Je suis l’une de ces voix
Celles qui ne dorment pas
Celles qui se taisent et qui écoutent
Qu’on n’enfermera pas
Je ne dors pas, je doute
J’ai peur, je pleure
Je chuchote
Je me tais, j’écoute
Je suis l’une de ces voix
Celle-là m’appartiendra, qui hier encore disait
Qu’elle a des raisons d’exister
Qui ne cria pas je hais, à quel point je hais
Parmi toutes les autres
Je suis l’une de ces voix
César Coudal-Cathare, 4 mai 2022

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