Waouh! Je pars tout de suite y animer une émission de libre antenne à la radio. A moi la gloire. «Dans mes bagages je mets: des tongs, mon traitement, des benzodiazépines en quantité, un lecteur DVD (en cas d’ennui), une machine à expresso (hors de question de ne pas assouvir mon addiction à la caféine), une guitare et de l’herbe (au cas où je n’en trouve pas sur place). Aucune conscience qu’il s’agit de transport de stupéfiant et que c’est puni par la loi. Je pars. A nouveau, je suis travestie par la maladie: je n’ai jamais émis le souhait de faire de la radio. Je suis pianiste et pas guitariste. Je suis une citadine. Je n’aime pas le froid et déteste la neige. Je tombe une énième fois amoureuse. Je rentre retrouver l’être aimé dans ma ville natale. Mon séjour a duré un mois. Je voyage de Saint-Pierre et Miquelon à Nice sans un euro. Je me sens si libre et si vivante alors que je n’ai plus rien. Nouvelle lubie: Paris m’attend. Grâce à l’éloquence de la phase maniaque, en quelques jours, je suis recrutée par un grand opérateur de téléphonie. Grisée par le business, je me sens toute puissante. Ne dormant toujours quasi plus, je deviens de plus en plus agitée. A la caisse d’une supérette, j’ai un gros billet, l’hôtesse de caisse me le refuse. La loi stipule le contraire, mon irritabilité prend le dessus. J’appelle les forces de l’ordre. Je leur dis qu’il se passe quelque chose de grave. La scène se déroule dans un arrondissement sensible, ils arrivent. Verdict? Légalement j’ai raison. Je repars avec mes achats et la monnaie. La justice avait fait son travail. Je me trouve héroïque d’avoir eu le courage de faire respecter mon bon droit. Bien entendu, peu de temps après, me revoilà morbide, couchée en continu. Je suis obsédée par l’organisation de mes obsèques. Dans les mises en danger des up, il y a la sexualité débridée. Je ne me respecte pas. Tous mes rapports sont non protégés et avec des hommes. D’une part, j’ai été sensibilisée très jeune aux MST et, surtout, je suis homosexuelle et militante. Après chacune de mes envolées, je viens m’écraser sur le sol. Je réalise ce que j’ai fait et ce à quoi j’ai échappé. Le sentiment de honte est si fort que je vais en mourir. Je redeviens clinophile. Je survis couchée. Je ne me lave plus. Mon appartement est jonché de détritus. Je consomme des drogues sur ordonnance. Je fume du cannabis comme je respire. Je reste sédatée des jours entiers. J’ai du mal à avaler ma salive et les yeux secs d’avoir trop pleuré. Je suis incapable d’accomplir les gestes essentiels de la vie. Tout est souffrance. Je visualise mon enterrement. En perte totale d’autonomie, je me déplace, voire rampe, uniquement pour aller aux toilettes. J’ai perdu la notion de jour et de nuit. Je ne veux pas renoncer. J’ai mes sœurs, mes amis. Je me hais, mais je suis aimée Par-dessus tout, je ne veux pas abimer l’enfance de mon neveu par mon suicide. Mais j’ai besoin de ces cocktails médicamenteux. J’appelle ces comportements des pauses de la vie. C’est mourir pour renaître. Instinct de survie, je demande une hospitalisation. J’ai toujours accepté, parfois je m’y suis rendue moi-même. J’accorde toujours ma confiance aux soignants. J’ai connu bon nombre de psychiatres, signe également d’instabilité majeure. Mes nombreux déménagements (en moyenne un par an) mènent à la rupture de l’alliance thérapeutique, mais aussi aux annulations des consultations. En bas, la force me manque pour m’y rendre, pour prévenir aussi. La honte s’empare de moi. Je n’y retourne pas. En haut, je n’en vois pas la nécessité. Sauf pour les manipuler, car je suis une toxicomane sur ordonnance. J’ai besoin de prescriptions. J’ai développé une sacrée culture en pharmacologie. Je crois aimer la défonce. Pour apaiser mes démons en phase basse. En phase de répit, afin de retrouver des émotions fortes. En haut, elle exacerbe mes idées de grandeur. Mais le piège de la pluri-dépendance se referme sur moi. Au-delà de l’humeur, je suis prisonnière des substances. Je suis accroc. Je m’enfonce de plus en plus dans la précarité. Je suis très endettée au possible. Toujours aucune linéarité professionnelle. Je présente de nombreuses compétences. Je ne rencontre aucun problème de savoir-faire. C’est le savoir-être qui me fait défaut. Comme si on me demandait de manger de la soupe à la fourchette. L’invisibilité de la pathologie la rend encore plus cruelle. J’ai de nombreuses fois nourri le rêve d’être en fauteuil roulant. Je veux qu’on sache, qu’on m’excuse, qu’on me pardonne. Je suis en désordre. Je ne sais plus qui je suis.