Mon humanité 
First Person Account

Mon humanité 

First Person Account
Issue
2023/05
DOI:
https://doi.org/10.4414/sanp.2023.1156280062
Swiss Arch Neurol Psychiatr Psychother. 2023;174(05):136

Published on 18.10.2023

28 septembre 2021

Je termine ma cinquième hospitalisation psychiatrique en l’espace d’un an et demi. J’ai connu au cours de ma vie la violence, les abus émotionnels et physiques, le harcèlement, l’escroquerie, les menaces, les problèmes d’argent, la malchance. J’ai connu la douleur de voir mes limites transgressées, de ne pas comprendre ce dont j’ai besoin, de ne pas parvenir à l’exprimer, d’user de violence. J’ai connu la douleur d’entendre mon vécu banalisé, minimisé, balayé. J’ai connu l’abandon, la trahison, l’humiliation, la perte. J’ai connu le vide et l’ennui. J’ai connu l’angoisse, le désespoir et la détresse. J’ai connu la friction des paradoxes dans mon esprit, me faisant glisser vers la folie. J’ai connu le besoin de blesser mon corps pour soulager ma tête. J’ai connu les idées noires, une élégante expression pour qualifier l’envie de mourir et les scénarios suicidaires. J’ai tenté. 
J’ai perdu ma dignité.
Dans tout ce tableau, il est une souffrance silencieuse et innommée. Je l’ai connue pendant des années.
Il s’agit de la honte. 
La honte de la vulnérabilité, de la fragilité, de la faiblesse. La honte de mon vécu. La honte découlant de la stigmatisation de la maladie et souffrance psychiques. 
La honte isole
Cette honte m’a empêchée de demander de l’aide. Elle a manqué me tuer.
Il est déjà assez difficile de vivre toute cette souffrance, pour ne pas en plus avoir à la porter seule, sans aide, sans reconnaissance. Seule, je ne serais pas là aujourd’hui. Je remercie profondément chaque personne, chaque présence sur mon chemin, qui a su reconnaître ma détresse quand je ne la voyais pas, dont la foi m’a portée quand je ne le pouvais plus, qui a cru mes paroles et a cru en moi. 
Aujourd’hui, je décide de parler ouvertement et de porter mes limitations et ma vulnérabilité comme un manteau. Le manteau de la dignité. Je suis fragile et je suis puissante. 
Je souhaite interroger les conceptions de la faiblesse, de la folie et de la souffrance. Les apparences valent-elles vraiment le sacrifice de notre bien-être et de celui de nos proches?
Durant mon parcours, bien des personnes, femmes, hommes, jeunes ou âgés, marginaux ou socialement intégrés, riches ou modestes, m’ont conté, avec un visage impassible ou en larmes, sur un ton détaché, enjoué ou enragé, les abus, les trahisons, les pertes, les violences ou les viols qu’ils et elles ont subis. J’ai côtoyé des personnes qui, tout sourire, étaient inconscientes de leur propre souffrance. J’ai vu des personnes tellement recroquevillées qu’elles semblaient désormais devenues la vivante incarnation de leur douleur. 
A 29 ans, je suis capable de me connecter à des gens qui ont toute une vie derrière eux. Je suis capable de comprendre l’adolescent-e en difficulté et de respecter son ressenti, comme celui d’un adulte. Je conçois l’étendue du chagrin d’un enfant qui pleure et le respecte, comme celui d’un adulte. Je décèle la sagesse silencieuse des animaux. Je décèle l’éternité dans la nature. J’ai cessé de hiérarchiser les souffrances, pour simplement les accueillir et tenir la main de l’autre. Je cesse de nier la mort et la difficulté. J’accepte enfin le don d’amour de mon prochain, parce que j’en ai besoin, non parce que je le mérite. J’apprends à donner librement, sans attendre en retour. Je vois la souffrance partout où je pose mes yeux et ressens mon impuissance, tout autant que ma compassion.
Toi qui as souffert,
Toi qui souffres,
Toi qui pleures en ce moment,
Toi qui t’inquiètes pour tes proches,
Toi qui cours dans ton quotidien,
Toi qui bois,
Toi qui prends des substances,
Toi qui doutes,
Toi qui hurles,
Toi qui frappes,
Toi qui veux oublier,
Toi qui as mal dans ton corps,
Toi qui n’oses pas dire non,
Toi qui as peur que cette personne te quitte,
Toi qui crains cette personne,
Toi qui pleures cette perte,
Je te ressens, je te reconnais, je te vois.
Puisses-tu, non pas chercher, mais trouver l’aide qui te mènera à la délivrance et la légèreté. Puisses-tu rétablir ton autorité et ta paix intérieures, nous éblouissant à nouveau de ta lumière.
Puisses-tu pleurer.
Puisses-tu te choisir.
Puisses-tu vivre, dans la liberté et la joie.
Cet article a été publié une première fois sur le blog personnel de l'auteure: https://www.larivalenoire.com
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